Le 7 mars, le parquet de Pointe-à-Pitre a ouvert une enquête judiciaire à l’encontre d’Elie Domota pour
«provocation à la discrimination, à la haine et à la violence contre des personnes ou des catégories de personnes en raison de leur origine ou en raison de leur appartenance ou de leur
non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion ». En clair, et tel que cela a été ensuite repris par Henri Guaino et par les principaux médias, pour
« incitation à la haine raciale ». Sont en cause, les propos tenus la veille par le leader du LKP à propos des entreprises refusant l’accord dit « Jacques Bino » qui prévoit
une augmentation salariale mensuelle de 200 euros : «Soit ils appliqueront l’accord, soit ils quitteront la Guadeloupe. (…) Nous ne laisserons pas une bande de békés rétablir
l’esclavage. »
Pour discréditer un leader un peu trop charismatique, ce type d’accusation est redoutable. Certes, il est peu probable qu’Elie Domota soit
condamné : le terme de « békés » a une connotation sociale et non pas raciale, puisqu’il désigne des descendants de colons esclavagistes qui ont conservé une grande partie du pouvoir
économique. Il se trouve donc qu’il vise certains « blancs », du fait de l’histoire et d’une forte transmission héréditaire des richesses, mais absolument pas «les blancs » en
général. Néanmoins, l’ouverture de cette enquête, quelle qu’en soit l’issue, jette sur lui un discrédit immédiat. Rappelons qu’en France, les procureurs sont sous la hiérarchie du pouvoir
puisqu’ils dépendent du Garde des Sceaux.
Or, cette enquête arrive sur un terrain médiatique déjà bien labouré puisque le mouvement social dont Domota
a été le principal porte voix a été régulièrement assimilé à un mouvement « identitaire ». Cette confusion volontaire a été instillée et renforcée par une série de déclarations. Alors
qu’Yves Jégo se prétendait « ambassadeur » de la Guadeloupe, comme s’il partait en territoire étranger, Nicolas Sarkozy promettait comme à son habitude un « débat sans tabou (où) tous les sujets pourront être abordés: économiques,
sociaux, identitaires, mais aussi institutionnels. ». Alors que les revendications du LKP étaient claires et strictement sociales (obtenir 200 euros d’augmentation pour les bas
salaires), le Président et le Gouvernement ont feint d’y voir des revendications d’un autre ordre, évoquant insidieusement la question du « statut » pour mieux diviser
le LKP dont certains membres sont autonomistes. Quant au MEDEF, il n’a cessé de tenter de réduire un mouvement très largement soutenu par la population à une agitation perpétrée, pour reprendre
les termes de Laurence Parisot, par une « organisation gauchiste », qui « milite pour l'indépendance de la Guadeloupe » et sème « un véritable climat de
terreur ».
Il est vrai que le représentant local du syndicat patronal n’a pas hésité, pour justifier son refus de
l’accord, à déclarer (ce que le Préfet, présent lors des négociations, a immédiatement contesté) que le RAID était intervenu pour lui éviter d’être rossé par Elie Domota !
Mais revenons sur terre. Le problème des Guadeloupéens est bien un problème social et politique. Social,
puisque dans un territoire où les inégalités de revenus sont fortes et le chômage élevé, les produits de consommation sont 30 à 40% plus chers qu’en métropole. Politique, puisque cette
différence est moins due aux coûts d’acheminement de ces produits qu’à une structure économique largement oligopolistique, où quelques acteurs abusent de leur position dominante. C’est à cela que
s’en prend Elie Domota et pas à autre chose. L’accord Bino, qui prévoit une prise en charge de ces 200 euros par l’Etat, les collectivités et les entreprises et apporte une réponse concrète au
problème des Guadeloupéens est rejeté par quelques grands groupes, piliers de la « pwofitation » et qui se sentent visiblement intouchables.
Cet acharnement à réduire une revendication sociale à une contestation d’ordre identitaire est l’arlésienne
du pouvoir politique lorsqu’il refuse de s’attaquer aux problèmes sociaux ou de remettre en cause un ordre économique établi. Pendant les émeutes de novembre 2005, certains
« intellectuels » et plusieurs députés de l’UMP avaient ainsi agité l’épouvantail du conflit « ethnique » ou « religieux », ou même invoqué la
« polygamie », pour mieux nier les véritables problèmes des banlieues françaises. Ne soyons pas dupes de ces tours de passe-passe. Accuser aujourd’hui Domota de racisme, et à travers
lui un vaste mouvement populaire, est une provocation inacceptable.
Thomas Adam-Vannier