La fusion des réacteurs de Fukushima vient d'être confirmée par l'opérateur de la centrale. La communication du groupe et du gouvernement est de plus en plus
critiquée et le premier ministre a du reconnaître le caractère totalement « eronné » des informations fournies par Tepco. Une commission d'experts indépendants va enquêter, tandis que Tepco
annonce des pertes de 14,7 milliards de dollars et que son président a démissionné en raison de sa mauvaise gestion de crise.
Alors que l’hypothèse de la fusion des réacteurs avait été évoquée dès le 11 mars, date du séisme et du tsunami au Japon, et que l’information était connue depuis
plusieurs jours, le groupe Tepco vient de reconnaître officiellement que le combustible présent dans l'enceinte des cuves des réacteurs 2 et 3 avait fondu, en plus du réacteur numéro 1, faute
d’une immersion rapide dans l’eau pour parvenir à les refroidir. Une attitude qui vient confirmer la méfiance à l’égard des informations distillées par le groupe, qui n’avait évoqué qu’une
« fusion partielle », « une condition stable des réacteurs » et une contamination radioactive endiguée. Le 23 mai, le Premier ministre Naoto Kan a ainsi
admis que son gouvernement avait relayé de fausses informations fournies par Tepco. "Ce que j'ai déclaré à la population était totalement erroné", a reconnu Naoto Kan vendredi devant le Parlement. "Nous n'avons pas su détecter les fausses affirmations de Tepco. J'en suis profondément désolé", a-t-il ajouté. En
voulant minimiser la situation et les conséquences de la catastrophe, Tepco aura surtout renforcé les craintes de l’opinion publique et des experts.
UE : décision les stress tests
Les discussions sur les tests de résistance des 143 centrales nucléaires européennes se sont achevées sur un accord le 25 mai concernant les critères à
prendre en compte lors de ces tests. La prise en compte du risque d'attentat terroriste et de chute d'avion, défendue par l'Allemagne, l'Autriche et le commissaire à l'Énergie -d'origine
allemande-, n'a pas été retenue dans la décision finale, comme le souhaitaient la France et le Royaume-Uni. En refusant de prendre en compte les risques liés aux attaques terroristes et aux
chutes d'avions, "ces tests sont loin d'avoir la rigueur nécessaire pour évaluer correctement la sûreté de nos réacteurs et réduire au maximum le risque d'accident", estiment les députés
du groupe Verts /ALE du Parlement européen."De toute évidence, le Commissaire européen à l'énergie, Günther Oettinger a perdu la lutte face aux autorités britanniques et françaises, et n'a
pas réussi à imposer des "stress tests" totalement transparents et indépendants, qui prennent en compte tous les critères nécessaires", poursuit le député Yannick Jadot.
Un laboratoire indépendant français, l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest (Accro), a par ailleurs révélé vendredi 20
mai des niveaux de pollution «alarmants» dans «l'environnement terrestre et marin» de la centrale nucléaire. «Dans la préfecture de Fukushima, les niveaux sont
comparables à ceux que l'on trouve autour de Tchernobyl», affirme le laboratoire, qui a analysé à Caen les échantillons envoyés par des bénévoles au Japon. Un constat bien plus alarmant que
celui des autorités japonaises, pour qui la quantité de radioactivité relâchée dans l'atmosphère à Fukushima a représenté « environ un dixième de celle relâchée à Tchernobyl en
1986 ».
Teneur en césium élevée
«Si l'on calcule la contamination en césium 137 en Bq/m2, toutes les valeurs relevées dans la préfecture de Fukushima sont supérieures à la limite de 185.000 becquerels par mètre
carré qui ouvre le droit à la migration en Biélorussie», estime l'Accro. «Cette pollution s'étend bien au-delà de cette préfecture: les niveaux détectés dans le sud de la préfecture
voisine de Miyagi (au nord de Fukushima) sont aussi très élevés», poursuit l'association présidée par un physicien du nucléaire. Dans les légumes analysés de Sendaï (80 km de
Fukushima), les teneurs en césium 134 et 137 sont supérieures aux limites fixées par la réglementation japonaise (500 Bq/kg), rendant ces produits impropres à la consommation : 790 Bq/kg pour le
césium 134 et 830 Bq/kg pour le césium 137. «Les retombées de Fukushima sont détectables à des niveaux significatifs jusqu'à Kanagawa, située à environ 270 km de la centrale», précise le
laboratoire. L’eau de mer est également très contaminée, une « contamination anormale en césium 137, 134 et iode 131. La vie marine sur
place, qui a tendance à concentrer ces pollutions, doit être fortement contaminée», conclut le laboratoire.
Elargir la zone d’évacuation
Par ailleurs, le premier ministre japonais a confirmé l'évacuation de plusieurs municipalités au-delà en de la zone interdite des 20 km d'ici la fin mai, des dépôts importants
d'éléments radioactifs ayant en effet été relevés dans la direction du nord-ouest, avec une radioactivité de plusieurs centaines de milliers à plusieurs millions de becquerels au mètre carré.
Le 56ème jour après l’accident, le MEXT (« Ministry of Education, Culture, Sports, Science and Technology ») japonais avait publié les première cartes de dépôts des césiums
« qui révélaient des valeurs très importantes et comparables à celles des territoires les plus contaminés de Tchernobyl, y compris au-delà de la zone initiale d’évacuation de 20 km de
rayon autour de la centrale japonaise », explique l'IRSN dans son rapport publié le 23 mai sur l'évaluation de l'impact des doses reçues. Une nouvelle estimation au 66ème jour de
la catastrophe fait désormais état de doses projetées atteignant des valeurs particulièrement significatives, supérieures à 200 millisieverts (mSv). Le rapport indique que « faute
d'évacuation, les populations risquent de subir une irradiation externe de plus de 10 millisieverts (mSv) dans l'année suivant l'accident de Fukushima », estimation qui ne prend pas en
compte la contamination due à l'éventuelle ingestion d'aliments contaminés. Environ "70.000 personnes dont 9.500 enfants de O à 14 ans" sont concernées selon ce rapport et s’ajoutent aux
80 000 personnes évacues de la zone des 20 km. Enfin, il y a une semaine, le gouvernement a également décidé de faire abattre les milliers de vaches, porcs et poulets présents dans la zone
interdite.
Commission d’enquête et mission de l’AIEA
Face à cette situation de crise, une commission d'experts indépendants a été autorisée par le gouvernement japonais pour enquêter sur la situation dans la centrale de Fukushima. Un
professeur émérite de l'Université de Tokyo, Yotaro Hatamura, expert de la recherche sur les erreurs humaines, conduira dirigera cette équipe, qui aura accès aux documents liés à l'accident et
rencontrera les différents acteurs concernés. Un rapport d'étape sera remis en décembre et un document final à l'été 2012. De son côté, l'Agence internationale de l'Energie atomique (AIEA) a
dépêché une équipe d'une vingtaine de spécialistes présents jusqu’au 2 juin pour analyser l'accident de la centrale. Elle remettra ses conclusions lors d'une réunion de ministres au siège de
l'AIEA à Vienne courant juin.
Véronique Smée